1333 - Se Sauver
Elles ont vécu bien des années dans leur peau. Tout s’arrêtait sur elle.
Ce n’était pas vraiment une carapace, encore moins un bouclier ou une armure. Elles avaient simplement longtemps ignoré qu’elles avaient quelque chose dessous, dedans. Personne d’ailleurs ne s’y était intéressé. Personne ne leur en avait parlé. Peut-être que même personne ne le savait ?
Ou alors peut être que ça arrangeait tout le monde, de ne vivre ainsi qu’en surface, de n’avoir devant soi aucune profondeur, de vivre devant des images plates, des chromos trop colorés, en oubliant les facettes, le volume, l’épaisseur de la forme, de la chair, de l’âme ?
C’est vrai quoi : une image, on se la trimballe facilement dans la poche, dans un portefeuille. On l’exhibe, on la montre. On en est fier et ça ne prend pas de place. Une image c’est là et ça suffit.
Et une image ça se tait.
Même qu’un jour, un jour où elle est un peu trop chiffonnée, un peu trop déchirée et rafistolée, on en fait une boulette et on la jette en disant « ce n’est pas grave ; je l’ai en mémoire ».
Mais il arrive que les images se regardent à l’intérieur, qu’elles-mêmes découvrent leurs arrières, leurs revers, leurs dedans. Soudain elles se déploient, s’arc-boutent, se volumisent.
Soudain elles ne rentrent plus dans les poches.
Elles ne sont plus images. En x dimensions, elles s’expansent, s’exportent, s’exposent. Elles changent de vie. Elles se sauvent.
Elles se sauvent de leur peau.
Copyright © Arthémisia – déc.10
Avec : La Grande anthropomètrie (ANT 105) – Yves KLEIN
Pigment bleu et résine sur papier marouflé sur toile
280x428 cm – Musée GUGGENHEIM – Bilbao ( E)